La Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (1791) d’Olympe de Gouges et les Mémoires (1886) de Louise Michel sont deux textes qui, bien qu’écrits à presque un siècle d’intervalle, se rejoignent par leur portée révolutionnaire et féministe. Ils reflètent une volonté d’émancipation non seulement politique, mais aussi sociale et féminine, dans des contextes de bouleversements historiques majeurs : la Révolution française pour de Gouges, et la Commune de Paris pour Michel.
Contexte historique et engagement politique
Olympe de Gouges est une figure incontournable de la Révolution française. Elle rédige en 1791 la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, une réponse directe à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, adoptée en 1789, dont elle dénonce le caractère exclusif et sexiste. De Gouges demande l'égalité des sexes devant la loi, le droit des femmes à participer à la vie politique, et une reconfiguration complète du rôle féminin dans la société.
Louise Michel, quant à elle, est une figure de la Commune de Paris (1871), un soulèvement populaire marqué par la lutte des classes et un rejet radical du pouvoir monarchique et bourgeois. Dans ses Mémoires, Michel exprime sa volonté de combattre l'injustice sociale et politique, en s’inscrivant dans une tradition révolutionnaire où les femmes doivent également être reconnues comme des actrices à part entière. Elle est l'une des premières à défendre un féminisme révolutionnaire, lié à l’émancipation des classes populaires.
Critique des structures patriarcales
Les deux autrices partagent une critique des structures patriarcales qui oppriment les femmes dans leurs sociétés respectives.
Olympe de Gouges, dans sa Déclaration, se positionne contre le patriarcat juridique qui maintient les femmes dans une condition d’infériorité. Elle revendique non seulement l'égalité juridique, mais aussi une reconnaissance morale et politique des femmes, qu’elle considère comme des citoyennes à part entière. L’article 10 de sa Déclaration proclame : « La femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la tribune. » Cette phrase résume l'idée d'une égalité totale, y compris dans les peines et les honneurs.
Louise Michel, quant à elle, dans ses Mémoires, n'exprime pas seulement une lutte contre l'inégalité des sexes, mais contre toutes les formes d'oppression, notamment celles qui proviennent des structures capitalistes et autoritaires. Son engagement féministe se mêle à une critique sociale plus large, où l'oppression des femmes est indissociable de l'exploitation des classes populaires.
Les deux textes dénoncent ainsi une exclusion systémique des femmes, mais avec des stratégies et des finalités légèrement différentes. De Gouges, en contexte révolutionnaire bourgeois, s'attache à démontrer l'absurdité de l’exclusion légale des femmes de la citoyenneté. Michel, dans une période post-révolutionnaire et sous le Second Empire, met en avant un féminisme plus radical et collectiviste.
Émancipation sociale et rôle des femmes dans la révolution
Le rôle des femmes dans les révolutions est une question centrale dans les deux œuvres.
Pour Olympe de Gouges, les femmes doivent être partie prenante du projet républicain et citoyen. Son discours est réformiste dans la mesure où elle souhaite intégrer les femmes dans les structures existantes, sans pour autant remettre en cause le modèle politique ou économique de son époque. Elle veut une égalité de droits dans un cadre institutionnel encore imprégné de principes bourgeois, mais elle ouvre la voie à un féminisme qui se détache progressivement du seul aspect familial pour s’étendre à l’espace public.
Louise Michel, en revanche, propose une vision plus radicale. Elle ne réclame pas simplement une place pour les femmes dans les structures existantes, mais veut les détruire pour en créer de nouvelles, plus égalitaires. La Commune de Paris est pour elle un modèle où femmes et hommes pourraient coopérer sur un pied d’égalité. Michel, en tant que militante anarchiste, refuse toute forme d'autorité, qu’elle soit patriarcale ou étatique. L’égalité des sexes est donc, chez elle, indissociable d’une révolution totale qui vise à abattre toutes les hiérarchies sociales.
Rapport à la maternité et à la féminité
Les deux autrices abordent également la question de la maternité et de la féminité, mais sous des angles différents.
De Gouges voit dans la maternité un élément crucial de la citoyenneté féminine. Elle revendique une place dans l’espace public pour les femmes, tout en soulignant leur rôle de mères, sans en faire un obstacle à leur participation citoyenne. Dans son texte, la maternité n'est pas incompatible avec une pleine citoyenneté, mais elle reste une fonction sociale importante pour la femme.
Michel, de son côté, rejette les stéréotypes de la féminité traditionnelle. Dans ses Mémoires, elle se présente comme une figure de combattante, s’opposant aux images passives et domestiques associées à la femme. Pour elle, la maternité n’est pas un destin inévitable, mais une possibilité parmi d’autres. Elle incarne un idéal féminin nouveau, celui de la femme révolutionnaire prête à sacrifier son corps et sa vie pour la cause collective.
Conclusion : Deux féminismes complémentaires ?
La Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne d’Olympe de Gouges et les Mémoires de Louise Michel représentent deux moments clés de l’histoire du féminisme, chacun à sa manière révolutionnaire. Si de Gouges plaide pour une égalité légale et citoyenne dans le cadre d’un projet républicain encore patriarcal, Michel va plus loin, en articulant l’émancipation des femmes à une révolution globale contre toutes les formes de domination.
Les deux textes se rejoignent dans leur dénonciation de l'injustice faite aux femmes et dans leur appel à une reconfiguration radicale des rapports de pouvoir, mais ils divergent quant aux moyens et aux finalités de cette émancipation. Michel incarne un féminisme plus radical et socialiste, tandis que de Gouges est davantage inscrite dans un courant républicain et libéral. Ensemble, ces œuvres éclairent les multiples facettes de la lutte pour l'égalité des sexes au cours des révolutions des XVIIIe et XIXe siècles.