Lier Gargantua de François Rabelais et Candide de Voltaire permet de mettre en lumière deux œuvres phares de la littérature française, qui, bien que séparées par plus de deux siècles, partagent des thèmes et des préoccupations similaires tout en se distinguant par leur style et leur approche.
Contexte historique et philosophie humaniste
Rabelais écrit Gargantua en pleine Renaissance, une période marquée par un renouveau intellectuel et artistique, ainsi qu'une redécouverte des textes antiques. Son œuvre s'inscrit dans l'humanisme, un mouvement qui place l'homme et ses capacités au centre des préoccupations. Gargantua est une satire des institutions médiévales et un plaidoyer pour une éducation libérale et humaniste. À travers l’éducation de Gargantua, Rabelais critique les méthodes scolastiques et propose une éducation tournée vers l’épanouissement de l’individu, sa liberté de pensée et son développement physique et intellectuel.
Voltaire, quant à lui, écrit Candide au XVIIIe siècle, en pleine période des Lumières. Cette époque est caractérisée par une remise en question des dogmes religieux et politiques, et une croyance dans la raison et le progrès. Candide est une œuvre profondément ironique qui critique l'optimisme philosophique de Leibniz, incarné par la formule « tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles ». Voltaire utilise le voyage initiatique de Candide pour dénoncer l'hypocrisie des institutions religieuses, la cruauté de l'homme et l'absurdité des guerres.
Critique sociale et satire
Les deux œuvres sont des satires puissantes des sociétés dans lesquelles elles ont été écrites.
Dans Gargantua, Rabelais tourne en ridicule les abus du clergé, la guerre, et la justice médiévale. Par exemple, le passage où Gargantua se moque des sophismes des théologiens ou la fondation de l'Abbaye de Thélème, un lieu utopique où la devise est « Fais ce que tu voudras », illustrent la critique rabelaisienne de l'autoritarisme religieux et de la répression sociale.
De même, Voltaire, dans Candide, critique violemment les injustices sociales et religieuses de son époque. Il se moque de la prétention des philosophes qui justifient le mal par des raisonnements abstraits, et expose la corruption de l'Église à travers des personnages comme le Grand Inquisiteur. Les nombreuses péripéties de Candide, qui passent de catastrophes en catastrophes, révèlent une vision sombre et désabusée de la condition humaine.
Stylistique et ironie
Rabelais et Voltaire utilisent tous deux l'ironie, mais de manière différente.
Rabelais, avec son langage riche et inventif, rempli de néologismes et de jeux de mots, offre une forme d'ironie joyeuse et exubérante. Son œuvre, bien que critique, conserve une forme d'optimisme et de célébration des plaisirs de la vie, notamment à travers les festins gargantuesques et les réjouissances populaires.
Voltaire, en revanche, adopte une ironie plus mordante et désenchantée. Le style de Candide est plus épuré, presque sec, et son ironie plus acérée. Par exemple, la répétition de la phrase « tout est pour le mieux » devient de plus en plus ironique à mesure que Candide subit des désastres toujours plus absurdes. Là où Rabelais célèbre la vie malgré ses absurdités, Voltaire semble plus cynique quant à la possibilité de réformer le monde.
Optimisme humaniste - Pessimisme philosophique
Enfin, une différence fondamentale entre les deux œuvres réside dans leur conclusion.
Rabelais, en tant qu'humaniste, propose un modèle de vie harmonieux, basé sur la liberté, l'éducation, et la jouissance des plaisirs simples. La vie à Thélème incarne un idéal d'existence loin des contraintes sociales et religieuses.
Voltaire, au contraire, conclut Candide par un retour au réalisme avec la fameuse phrase « il faut cultiver notre jardin ». Cette expression symbolise l'abandon des illusions métaphysiques au profit d'une vie simple, tournée vers le travail concret et l'amélioration de soi, loin des spéculations vaines.
Conclusion
Gargantua et Candide sont ainsi deux œuvres critiques, chacune à sa manière, des excès de leur époque. Si Gargantua incarne l'optimisme humaniste de la Renaissance, croyant en la perfectibilité de l'homme par l'éducation et la culture, Candide reflète un siècle des Lumières plus désillusionné, qui, après avoir constaté l'ampleur de la folie humaine, prône un retour aux réalités concrètes et une forme de sagesse pragmatique. Les deux œuvres restent, cependant, unies par leur quête de vérité et leur désir de dénoncer les injustices de leur temps à travers le rire et la satire.