"Je dis qu'il faut être voyant, se faire voyant. Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens."

Dans cette citation issue de la célèbre Lettre du Voyant à Paul Demeny, Arthur Rimbaud propose une conception radicale de la création poétique qui s'inscrit parfaitement dans le cadre du parcours sur les émancipations créatrices.

Voici une analyse qui relie cette idée à ce thème.

1. L'idée de "voyant" : une émancipation de la perception ordinaire

Rimbaud affirme que le poète doit devenir "voyant", c'est-à-dire accéder à une vision supérieure et pénétrante du monde. Ce projet de vision dépasse la perception ordinaire, libérant l’individu des contraintes rationnelles et sensorielles qui le limitent dans son appréhension du réel. En affirmant qu'il faut "se faire voyant", Rimbaud indique que cette libération n’est pas naturelle, mais le fruit d’un travail conscient et d'une volonté d'explorer des états modifiés de conscience. Cette quête de l'extase poétique reflète une démarche de transgression des normes sociales et des limites de la perception humaine.

2. Le "dérèglement de tous les sens" : une émancipation créatrice par la rupture

L'expression "un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens" est au cœur du processus créatif de Rimbaud. L’émancipation créatrice, ici, se réalise par la rupture avec la rationalité traditionnelle et la sensibilité ordinaire. Le "dérèglement" des sens (vue, ouïe, toucher, goût, etc.) est un moyen d'accéder à des perceptions inédites, qui offrent à l’artiste une nouvelle manière d'explorer la réalité. En cela, Rimbaud se libère des conventions littéraires, des formes figées et des modes de pensée qui emprisonnent l’artiste dans une vision réduite du monde. Ce processus est paradoxalement "raisonné" : loin d'être chaotique, il s'agit d'une démarche réfléchie et assumée pour élargir les horizons de la création.

3. L'émancipation par la création poétique : une libération personnelle et universelle

La "Lettre du Voyant" s’inscrit dans une démarche plus large d’émancipation personnelle, mais aussi artistique et, par extension, universelle. Rimbaud envisage la poésie comme un outil de transformation : en libérant ses sens et son esprit, le poète devient un guide, une figure qui éclaire de nouvelles vérités à partager avec le monde. Ce modèle d’émancipation individuelle à travers l'expérience poétique rejoint l’idée d’un mouvement plus global, où l’artiste s’affranchit des traditions et des systèmes de pensée figés pour ouvrir des perspectives nouvelles, libératrices, pour lui-même et pour la société.

4. La modernité du projet rimbaldien : une libération par la révolte

Dans ce passage, Rimbaud annonce une vision profondément moderne de l'artiste, qui rompt avec l’idée de l’œuvre comme simple représentation du monde. Il appelle à une révolte contre les canons esthétiques et moraux de son époque. L’émancipation créatrice passe par un rejet des structures de pensée héritées et une exploration radicale de l'inconnu, de l'irrationnel, voire du mystique. Ce faisant, Rimbaud participe à un mouvement plus large, celui de la modernité littéraire et artistique, qui vise à renouveler les formes et à redéfinir la mission du créateur.

Conclusion

La réflexion de Rimbaud dans cette Lettre du Voyant incarne parfaitement l’idée d’émancipation créatrice, où l’artiste se libère des chaînes sociales, sensorielles et intellectuelles pour accéder à une nouvelle forme de connaissance et de création. Le dérèglement des sens devient alors un chemin vers la liberté créatrice, une forme d’épanouissement personnel et une redéfinition de l’art comme un espace de transgression et d’innovation.

" Petit-Poucet rêveur, j’égrenais dans ma course Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse", Ma Bohême 

La citation extraite du poème "Ma Bohême" de Rimbaud, où le poète se compare à un Petit Poucet rêveur, peut être directement liée au parcours de "Les émancipations créatrices" dans le cadre du bac, à travers plusieurs axes d'analyse qui montrent comment Rimbaud redéfinit la figure du poète et la création littéraire.

1. L'émancipation par le voyage initiatique

Le poète se compare à Petit Poucet, un personnage symbolique de l’enfance et de l’errance. Ici, le voyage est plus qu’un simple déplacement : c’est une quête d’émancipation. Rimbaud, à travers cette image, exprime sa volonté de s’affranchir des conventions sociales et littéraires. Ce cheminement solitaire, en dehors des sentiers battus, symbolise une liberté créatrice, où le poète s’invente son propre itinéraire poétique, loin des règles académiques. Comme Petit Poucet, il égrène des rimes, des fragments de poésie qui, bien que spontanés et désordonnés, marquent sa progression dans l’univers de la création.

2. La Bohème : une vie libérée des contraintes

Le terme "Ma Bohême" renvoie à un mode de vie en marge des normes sociales, une existence de vagabond, libre et détachée des contraintes matérielles. Cette figure de l’artiste bohème incarne parfaitement l’idée d’une émancipation totale, où le poète vit selon ses propres règles, en quête d’inspiration et de liberté. Rimbaud célèbre ici une existence affranchie des conventions bourgeoises, où la poésie devient l’unique guide. Cette errance devient une condition de la création, une manière de se rapprocher du sublime à travers la liberté de l’esprit.

3. Les rimes comme acte créateur spontané

Dans ce passage, Rimbaud "égrène des rimes", ce qui illustre une création poétique spontanée et non calculée. Ce geste d’égrenage peut être perçu comme une émancipation du travail littéraire classique, où l’acte de création n’est plus un exercice strict et discipliné, mais une libération de l’imagination. Rimbaud se distingue ici en tant que poète "voyant", capable de puiser dans une source intérieure pour créer des vers en harmonie avec sa liberté. La poésie devient un acte presque instinctif, qui accompagne son vagabondage, à l’image de sa quête d’indépendance.

4. Le lien avec les étoiles : une dimension cosmique et spirituelle

L'auberge du poète est "à la Grande-Ourse", une constellation, ce qui ajoute une dimension cosmique à son errance. Cette vision sublime élève l’expérience du poète au-delà de la simple vie matérielle. En se connectant aux étoiles, Rimbaud exprime une forme d'émancipation spirituelle : le poète ne vit plus sur terre mais dans les cieux, guidé par une force supérieure qui le conduit à l’inspiration. Cela rappelle l’idée d’un poète en quête de l’infini, détaché des contingences terrestres, en pleine communion avec l'univers.

5. Une révolte contre les normes et la tradition

Ce passage de "Ma Bohême" illustre également une révolte implicite contre les conventions littéraires du 19e siècle. En se comparant à Petit Poucet, en égrenant des rimes de manière presque aléatoire, Rimbaud s'affranchit des formes poétiques traditionnelles et des attentes classiques. Sa poésie devient un espace de transgression et de renouvellement, ce qui est au cœur de l’émancipation créatrice. Il rejette les valeurs établies pour explorer de nouvelles voies, à la fois esthétiques et existentielles.

Conclusion

En reliant cette citation à l’idée d’émancipation créatrice, on peut voir comment Rimbaud, à travers "Ma Bohême", se libère des contraintes, qu'elles soient sociales, artistiques ou spirituelles. Sa poésie reflète une quête de liberté absolue, où l'errance, la marginalité et le détachement deviennent des moteurs de création. Le poète se fait explorateur de nouveaux territoires poétiques, réinventant la figure de l’artiste et redéfinissant la création comme un espace de liberté et de révolte.

" Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées ; Mon paletot aussi devenait idéal ; J'allais sous le ciel, Muse ! et j'étais ton féal."   Ma bohème

Dans ces vers de "Ma Bohême", Arthur Rimbaud évoque son errance poétique et physique avec une simplicité qui cache une profonde réflexion sur la création artistique et la quête de liberté.

Voici comment cette citation peut être reliée au thème des émancipations créatrices, tout en s'inscrivant dans le parcours bac.

1. L'errance poétique : une quête de liberté

Rimbaud décrit son voyage solitaire, errant "les poings dans [ses] poches crevées", symbolisant une condition de pauvreté matérielle, mais également une richesse intérieure. Cette marche sous le ciel, libérée de tout confort ou contrainte matérielle, devient une métaphore de l'émancipation créatrice. En se détachant des nécessités terrestres et des attentes sociales, le poète explore une liberté d’action et de pensée. Il se laisse guider par son instinct et par l’inspiration, s’affranchissant des conventions littéraires et des règles établies.

2. La pauvreté matérielle et la richesse créative

Le "paletot" qui devient "idéal" suggère que, bien que matériellement démuni, le poète se transforme à travers la création artistique. Le vêtement abîmé et les poches vides symbolisent l’aspect trivial de son existence, mais la poésie transcende cette réalité. La transformation du paletot en objet idéal montre comment l’artiste, en s’émancipant des préoccupations matérielles, accède à une richesse créative infinie. Rimbaud montre ainsi que la libération des contraintes matérielles est une condition essentielle pour atteindre une forme de sublimation artistique.

3. La relation avec la Muse : une émancipation spirituelle

En s’adressant à la Muse et en se proclamant son "féal", Rimbaud s'inscrit dans une tradition poétique où l’inspiration divine ou spirituelle joue un rôle central. Cependant, ici, cette relation avec la Muse est présentée dans un contexte de totale liberté : le poète vagabond est fidèle à la Muse, mais sans les cadres rigides imposés par la tradition classique. C’est une nouvelle manière de concevoir l’inspiration : la Muse n’est plus seulement une source externe, mais une force intérieure que le poète libère à travers son vagabondage et sa communion avec la nature.

4. L’émancipation des codes littéraires

Dans ces vers, Rimbaud dépasse les conventions poétiques de son époque. Le poète romantique, autrefois en quête de grandeur ou de mélancolie, devient ici un vagabond de l’esprit, un être en perpétuelle errance, créant librement. Ce rejet des codes littéraires classiques, où la poésie devait respecter des formes strictes, incarne la révolte et la rupture esthétique propre à l’émancipation créatrice. Rimbaud invente un nouveau langage poétique, où l’on peut errer sans but précis, mais avec une authenticité qui transforme le quotidien en matière poétique.

5. La fusion avec la nature : une libération sensorielle

La marche "sous le ciel" évoque une communion intime avec la nature, qui devient source d’inspiration et de régénération. Cette errance en pleine nature, sans but précis, renforce l'idée d’une liberté totale, où le poète se libère non seulement des structures sociales mais aussi des limites sensorielles. Le vagabondage devient un mode de vie et d’écriture, où la nature offre des perspectives infinies de création, en dehors des contraintes imposées par la société.

Conclusion

Ces vers de "Ma Bohême" témoignent de la manière dont Rimbaud, à travers l’errance poétique et la pauvreté matérielle, accède à une forme de liberté créatrice qui transcende les limites imposées par la société et la tradition littéraire. L’errance, la pauvreté et la nature deviennent les vecteurs d’une émancipation créatrice totale, où le poète trouve dans l’inspiration libre et spontanée une forme d’accomplissement spirituel et esthétique.

Utiliser une citation de Rimbaud 

Sujet Exemple

Dans quelle mesure la poésie de Rimbaud permet-elle d'accéder à une vérité supérieure ?

Exemple d'intégration de la citation dans la dissertation :

La poésie comme exploration des sensations et de l'inconnu

Dans son projet poétique, Arthur Rimbaud réinvente le rôle du poète. Ce dernier, loin d’être un simple observateur, devient un explorateur des profondeurs humaines. Rimbaud déclare : « Je dis qu'il faut être voyant, se faire voyant. Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. » Par cette phrase, Rimbaud exprime l'idée que la poésie n'est pas simplement un art de la représentation, mais un moyen de voir au-delà de la réalité immédiate. En "déréglant" ses sens, le poète brise les barrières du rationnel et du quotidien, accédant ainsi à une perception plus vaste, plus mystérieuse, où se révèle une vérité supérieure. Cela montre que la poésie, en libérant l’esprit des conventions, devient un chemin vers une connaissance intuitive, une forme de vérité transcendantale. 

Sujet d'exercice

La poésie de Rimbaud est-elle une forme de révolte contre le monde ordinaire ?

Étape 1 : Présentez l'idée principale de la citation

Rimbaud révolutionne la conception de la poésie en la présentant comme une forme d’expérience sensorielle extrême. Selon lui, le poète doit se transformer en voyant, un être capable de capter des vérités profondes, invisibles aux autres.

Étape 2 : Reliez cette idée au sujet

Le "voyant" de Rimbaud est en révolte contre le monde ordinaire, car il refuse les perceptions superficielles et rationnelles de la réalité. Le poète, en "déréglant ses sens", s’affranchit des normes et des limites sociales pour accéder à une vérité plus profonde, ce qui constitue une forme de contestation de la vision traditionnelle du monde.

Étape 3 : Intégrez la citation dans l'argument

En faisant référence à la célèbre phrase de Rimbaud : « Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens », on comprend que la poésie est pour lui une manière de briser les cadres habituels de la perception et d’explorer des territoires inaccessibles à l’esprit rationnel. La révolte poétique réside ainsi dans cette démarche de transcendance par les sens.