Œuvre : Francis Ponge, La rage de l’expression
Parcours : Dans l’atelier du poète
Sujet de dissertation
Un critique affirme : « Chaque fois recommencée, sans aboutissement possible, l’œuvre s’explore, progresse péniblement, cherche sa propre fluidité, son bon écoulement ». En quoi cette réflexion vous paraît-elle pouvoir éclairer le travail à l’œuvre dans La rage de l’expression ?
Vous répondrez à cette question dans un développement organisé. Votre réflexion prendra appui sur l’œuvre de Francis Ponge au programme, sur le travail mené dans le cadre du parcours associé et sur votre culture personnelle.
Dans les centres étrangers groupe 1, le théâtre et la poésie ont été choisis avec les sujets suivants :
Sujet du bac français 2024 - bac général - centres de l’étranger (groupe 1)
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Sujets du bac de français centres étrangers groupe 1. Objets d'étude : le théâtre et la poésie (142.42 Ko)
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Problématisation en lien avec le parcours bac
Eléments de correction
Comprendre le sujet
Le sujet à l'image de la Rage de l'expression est une réflexion sur le processus poétique jusqu'à la forme finale du recueil. La citation en parataxe souligne l'idée que le travail d'écriture se comprend au sens d'une méthode de création en étapes toujours corrigées et revues, jamais définitives. Ce n'est pas une oeuvre poétique ordinaire offrant à ses lecteurs des textes achevés. Il s'agit de tentatives poétiques sans cesse reconduites.
L'évolution du travail et de la méthode d'écriture doivent se comprendre comme un exercice sans cesse relancé par sa quête. Les textes ne sont pas achevés, la lecture s'organise comme " un journal poétique " révélateur des questionnements et des hésitations du poète car les obstacles sont nombreux ainsi que le suggère la métaphore liquide du sujet " l'oeuvre ... cherche sa propre fluidité, son bon écoulement ".
L'oeuvre en sujet " explore ", " progresse " : le travail est toujours en cours. La parole n'est jamais définitive et chaque texte se heurte à de nouvelles difficultés, tant pour le commencer que dans sa formule finale qui serait un aboutissement.
Ainsi le poète dans son atelier dissocie et recompose comme le peintre. Il soigne la typographie, s'approprie la page blanche comme le peintre s'approprie la toile.
Mettre le sujet en lien avec le parcours
- Le titre du parcours bac " Dans l'atelier du poète " révèle la complexité d'un tel travail. Le choix du mot " atelier " est à la fois en lien avec la création picturale et poétique. Voir par exemple la " Mounine ou Note après coup sur un ciel de Provence ".
Le titre évoque un décalage temporel entre l'expérience vécue et l'écriture de cette impression esthétique.
Dans " Notes pour un oiseau ", l'inspiration picturale d'une oeuvre d'Ebiche fait de Ponge un poète à la démarche similaire au peintre : " Le poète dissocie les qualités de l'objet puis les recompose, comme le peintre dissocie les couleurs, la lumière et les recompose dans sa toile " - " Notes pour un oiseau ".
L'oeuvre doit donc être sans cesse recommencée dans l'absence totale d'inspiration " sans aboutissement possible " dans un grand souci de fluidité au sens d'un idéal à atteindre. Contre la poésie inspirée, la démarche de Ponge est quasi scientifique. A l'intersection de la rigueur scientifique et des impressions esthétiques, elle est entre la science et l'art.
L'analyse du sujet doit insister sur l'idée que c'est " l'oeuvre " qui " s'explore " et " progresse ". La métaphore liquide évocatrices des nombreux obstacles rend la fluidité de l'oeuvre difficile.
La Rage de l'expression se dévoile telle une oeuvre en train de s'écrire sous les yeux du lecteur.
Problématique :
Comment Francis Ponge met-il en avant le processus de sa pensée pour rendre son travail préparatoire visible pour un résultat aussi fluide que possible?
Les entrées possibles
I - Une oeuvre qui progresse lentement, péniblement
- Les débuts difficiles d'une oeuvre toujours recommencée
Difficultés du poète à entrer dans l'oeuvre. Thème récurrent dans La Rage de l'expression : on peut citer le " Mimosa ", il témoigne de la réelle complexité pour Ponge à commencer son travail sur les objets sélectionnés. A cet égard, le " Mimosa " assimile le poète au peintre qui procède péniblement par touches, " plus je tourne autour de cet arbuste, plus il me paraît que j'ai choisi un sujet difficile ". L'idée fait écho au texte de " Notes pour un oiseau " dans lequel il est fait mention de ses hésitations " Je croyais pouvoir écrire mille pages sur n'importe quel objet ". L'absence d'inspiration rend les débuts de textes moins construits, sans approche unifiée par une méthode précise, ainsi dans " Le Mimosa ", Ponge retarde la découverte de la fleur par des commentaires révélateurs de son insatisfaction. Parfois même, les premières pistes d'écriture comme dans " Berges de la Loire " sont laissées à l'abandon au profit d'un texte programmatique dévoilant la manière de bien écrire sur les berges.
- Une oeuvre " sans aboutissement possible "
Toujours insatisfait, il multiplie les hésitations jusqu'au résultat final, ainsi du dernier segment de " La Guêpe " intitulé " Et caetera ". La parole semble insuffisante et se perdre dans toutes les possibilités d'écrire, d'aborder, de décrire l'objet choisi. Cependant le ciel de Provence ne trouve pas les mots, ils ne coïncident pas avec l'objet c'est pourquoi, le poète dit de lui, ce ciel que " nous n'avons pu encore nous offrir ".
- Une oeuvre qui cherche " sa propre fluidité, son bon écoulement »
Cette quête de la bonne forme de textes parmi toutes celles possibles comme le journal, la liste, les vers et celle de la mise en page avec ses bons caractères sont autant d'obstacles à la réalisation du projet du poète. Un idéal d'écriture approché mais les difficultés trop nombreuses sont à l'origine d'une éternelle insatisfaction. Le manque de fluidité empêche " son bon écoulement " qui justifie de remettre à plus tard en mettant un point final à " L'oeillet " affirmant : " Tout à partir de là coulera de source... une autre fois / Et je puis tout aussi bien me taire ".
II - Une oeuvre qui est elle-même sa propre quête
L'oeuvre explore et " s'explore " au nom d'un idéal de fluidité
- Les textes s'enrichissent de remarques et de commentaires
Le travail est toujours en cours. La parole n'est jamais définitive. On le voit par exemple dans "Le Mimosa" qui propose plusieurs variantes d'un même poème.
L'atelier pongien est le lieu d'ordonnancement de la parole que le poète travaille progressivement jusqu'à l'élaboration de ses textes enrichis de remarques, de réflexions par exemple, "L'oeillet". Ces remarques s'apparentent à des notes lui permettant d'approfondir sa réflexion, citons " Le Carnet du bois de pins " dans lequel le poète s'épuise dans ses explorations : " Non ! / Décidément, il faut que je revienne au plaisir du bois de pins. "
- Un recommencement incessant autour du jeu des variations
Il propose des variations en vers sur la fleur dans le " Mimosa ". Le présentatif "le voici" offre la fleur au lecteur à la manière d'un personnage de la "comédie italienne". "Le voici, comme un personnage de la comédie italienne". La comparaison fait du mimosa un personnage de théâtre usant d'effets outranciers "avec un rien d'histrionisme". D'abord assimilé par la comparaison à "Pierrot" de la commedia dell'arte "dans son costume à pois jaunes", la fleur révèle ensuite son caractère outrancier, jaune par nature, elle devient blanche par son maquillage avec l'adjectif "poudré". De l'arbuste à l'astre, le mimosa est aussi "un caractère d'une naïve gloriole, vite découragé" : le vocabulaire péjoratif par "gloriole" et "découragé" fait de la fleur un objet aux caractéristiques négatives. Les défauts soulignés font du mimosa une fleur pleine de vanité, en métaphore théâtrale, sa mise en scène alterne la présentation péjorative et méliorative.
La fleur prend vie sous la plume du poète qui procède par analogie. Elle devient un objet délicat par la métaphore "poils soyeux" valorisée par la comparaison " les feuilles ont l'air de grandes plumes". De l'anthropomorphisme avec "gloriole" et "découragé", Ponge fait à présent du mimosa une fleur du monde animal avec le nom "plume" pouvant également connoter l'activité littéraire. Il joue ainsi sur le sens polysémique de "plumes", elles sont "légères et cependant très accablées d'elles-mêmes, plus attendrissantes que d'autres palmes". L'exploration se poursuit par la comparaison "comme dans tamaris, il y a tamis, dans mimosa il y a mima". Mima du latin mimus signifie mime. Ponge fait une analogie entre la fleur et l'art dramatique à partir de l'étymologie du mot. Par la ressemblance des termes "mimosa/mima", le poète élève la fleur au rang de mime de théâtre.
- L'exploration s'apparente à un travail méthodique qui suppose un outil
Le dictionnaire Littré est cet outil indispensable pour faire des recherches par exemple, dans "Le Mimosa", Ponge affirme :
"Parvenu à ce point, j'allai à la bibliothèque consulter le Littré, la Grande Encyclopédie, le Larousse". La référence au dictionnaire est incontournable pour éclairer les propriétés de l'objet à décrire et l'enrichir de l'étude étymologique : il s'agit de comprendre l'origine du mot.
C'est une démarche quasi scientifique basée sur le travail (contre la poésie inspirée).
"Note d'ordre à propos du ciel de Provence"
"Je me veux moins poète que savant" - je désire moins aboutir à un poème qu'à une formule... s'il est possible de fonder une science dont la matière serait les impressions esthétiques, je veux être un homme de cette science".
III - Un idéal de fluidité et d'achèvement
- Un idéal approché dans certains poèmes
L'insatisfaction et l'impression d'inachèvement ne concernent pas tous les textes de la Rage de l'expression. En effet, certains textes peuvent laisser penser que Ponge n'est pas si loin du résultat recherché. Citons par exemple " Le Carnet du bois de pins ", le poète manifeste une certaine satisfaction comme en témoignent ces mots : " Voilà un tableau dont je ne suis pas mécontent ".
- Un renouveau dans la pratique poétique
Penser l'oeuvre non comme un résultat mais comme l'histoire d'une recherche semble être la visée de Francis Ponge et la forme la plus aboutie de son recueil reste le journal poétique offert à son lecteur. Sa pratique poétique s'apparente à un processus de création complexe de recherche contre l'inspiration facile et le lyrisme, contre la " routine ". Il ne s'agit plus d'une poésie descriptive tentant de définir les objets du quotidien comme dans Le Parti pris des choses mais d'une réflexion sur le langage et le pouvoir des mots dont la mission essentielle est de définir fidèlement l'objet ainsi que le suggère le titre du recueil La Rage de l'expression. Il est à lui seul le reflet d'une coïncidence des mots aux choses mais les poèmes sont le résultat d'une exploration du langage pour accorder les particularités de l'objet et la forme poétique.
Poésie est une action poétique. Dans l'atelier du poète, la poésie qu'il faut redéfinir hors de ses carcans, se fabrique.
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