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« Pour une femme, écrire a toujours été subversif : elle sort ainsi de la condition qui lui est faite et entre comme par effraction dans un domaine qui lui est interdit », écrit Béatrice Slama dans De la « littérature féminine » à « l’écrire-femme » : différence et institution (Littérature n°44, 1981).
Dans quelle mesure pensez-vous que ce jugement puisse s’appliquer à Olympe de Gouges quand elle publie la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne ?
Vous répondrez à cette question dans un développement organisé en vous appuyant sur la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, sur les textes que vous avez étudiés dans le cadre du parcours associé, et sur votre culture personnelle
Dans l'histoire des idées et des luttes pour l'égalité, les femmes qui prennent la plume se heurtent souvent à des résistances, car elles transgressent non seulement les normes sociales, mais aussi les limites d'un espace réservé aux hommes. Cette tension est particulièrement manifeste dans la France révolutionnaire, où les idéaux d'égalité universelle coexistent avec l'exclusion des femmes des droits politiques fondamentaux.
Olympe de Gouges, figure emblématique des combats féministes du XVIIIᵉ siècle, publie en 1791 la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, un texte qui se veut à la fois une critique et un complément à la célèbre Déclaration des droits de l’homme et du citoyen adoptée en 1789. En affirmant l'égalité des sexes et en revendiquant les droits civils et politiques pour les femmes, elle défie les préjugés de son époque et ouvre une brèche dans un univers intellectuel et juridique largement masculin. Le jugement de Béatrice Slama, selon lequel écrire pour une femme constitue un acte subversif et une effraction dans un domaine interdit, peut-il s'appliquer à l’œuvre d’Olympe de Gouges ? Cette question invite à réfléchir au double défi auquel elle s’attaque : l’affirmation de l’égalité des sexes dans un contexte révolutionnaire et sa propre légitimité en tant qu’autrice engagée.
Dans quelle mesure la publication de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne par Olympe de Gouges peut-elle être perçue comme un acte subversif, révélateur des obstacles auxquels les femmes écrivaines se heurtent pour revendiquer une place dans le débat public ?
Nous montrerons tout d'abord en quoi l'écriture et la publication de ce texte transgressent les normes sociales et politiques de l'époque pour préciser les enjeux et les limites de cette subversion, notamment à travers la réception de son œuvre et les réactions qu'elle a suscitées (II). Enfin, nous examinerons la portée universelle et moderne de ce geste littéraire et politique, en le replaçant dans une histoire plus large de l'émancipation féminine (III).
I. L’écriture et la publication de la Déclaration : une transgression des normes sociales et politiques
Olympe de Gouges, en rédigeant La Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, s’inscrit dans un acte de défiance envers une société patriarcale qui relègue les femmes au silence et à la sphère domestique. Cette démarche illustre ce que Béatrice Slama qualifie d’"effraction", car elle ose pénétrer un domaine réservé aux hommes : celui du droit et de la politique.
La remise en cause des principes révolutionnaires exclusifs :
Alors que la Révolution française proclame "Liberté, Égalité, Fraternité", elle exclut les femmes de ces droits fondamentaux. Par exemple, l’article I de la Déclaration de 1789 stipule :
"Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits."
En réponse, Olympe de Gouges ouvre sa Déclaration par une inversion provocatrice :
"La femme naît libre et demeure égale à l’homme en droits."
Ce geste met en lumière l’hypocrisie d’un système qui prétend défendre l’universalisme tout en excluant la moitié de l’humanité.
Une dénonciation des normes patriarcales :
La Déclaration va plus loin en attaquant directement la construction sociale des inégalités de genre. Dans l’article X, elle écrit :
"La femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la Tribune."
Par cette phrase, elle révèle l’injustice criante d’un ordre politique où les femmes subissent la violence de l’État sans bénéficier des droits qui en découlent.
Un acte de courage personnel :
Dans une époque où les femmes sont rarement reconnues comme actrices politiques, publier un tel texte expose Olympe de Gouges à des représailles. Son effraction ne se limite pas à l'écrit : elle prend publiquement position, bravant les stigmatisations et la violence, et finit guillotinée en 1793.
II. Les enjeux et les limites de cette subversion : réception et réactions
Bien que subversif, le geste d’Olympe de Gouges rencontre des résistances massives, témoignant des limites imposées aux femmes dans leur quête de reconnaissance intellectuelle et politique.
Une réception hostile dans un contexte misogyne :
La critique contemporaine d’Olympe de Gouges illustre bien l’ampleur des préjugés qu’elle combat. Elle est souvent moquée pour son ambition et sa prise de parole publique. Par exemple, le pamphlet Le Contrepoison la caricature en ces termes :
"Elle se croit l’égale des plus grands hommes [...] alors qu’elle n’est qu’une femme exaltée."
Cette rhétorique sexiste cherche à délégitimer sa voix en insistant sur son genre.
Un paradoxe révolutionnaire :
Les idéaux révolutionnaires se montrent contradictoires lorsqu'il s'agit des femmes. Alors qu’Olympe de Gouges se réclame des principes de 1789, Robespierre et les Jacobins rejettent ses revendications comme étant dangereuses pour l'ordre social. La Révolution, censée libérer, renforce en réalité la domination masculine en excluant les femmes de la citoyenneté.
Les limites de la subversion dans son époque :
Malgré son courage, Olympe de Gouges échoue à obtenir une réelle reconnaissance. Sa Déclaration, bien qu'audacieuse, reste marginalisée. Ce constat reflète les difficultés des femmes à institutionnaliser leurs idées dans un cadre où leur parole est systématiquement perçue comme illégitime ou excessive.
III. La portée universelle et moderne de son geste littéraire et politique
Malgré les obstacles qu’elle rencontre, l’œuvre d’Olympe de Gouges transcende son époque, offrant une perspective visionnaire sur les droits des femmes et leur rôle dans la société.
Une pensée universelle et intemporelle :
En affirmant que l’égalité des sexes est une condition indispensable de la justice, Olympe de Gouges anticipe les débats contemporains sur le féminisme. Son article IV affirme :
"La liberté et la justice consistent à rendre tout ce qui appartient à autrui ; ainsi, l’exercice des droits naturels de la femme n’a de bornes que la tyrannie perpétuelle que l’homme lui oppose."
Cette déclaration résonne encore aujourd’hui, rappelant que les droits des femmes sont souvent des acquis fragiles, constamment remis en question.
Un précurseur du féminisme moderne :
Olympe de Gouges ouvre la voie à des figures comme Mary Wollstonecraft ou Simone de Beauvoir, qui poursuivent la lutte pour l’émancipation des femmes. La Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne peut être vue comme l'un des premiers manifestes féministes.
Un héritage dans les luttes actuelles :
Le geste d’Olympe de Gouges continue d’inspirer les mouvements féminins contemporains. Sa revendication de l’égalité, son courage face aux institutions et sa capacité à articuler une critique politique globale font d’elle une figure fondatrice des droits des femmes.
Olympe de Gouges, par sa plume et son engagement, incarne la transgression des normes établies dans une société révolutionnaire qui peine à appliquer ses propres idéaux d'égalité. Si elle subit le rejet et l'incompréhension de son temps, son geste demeure universel et exemplaire, illustrant que l’écriture féminine est bien plus qu’un acte subversif : elle est une revendication de justice et de dignité humaine.
Le combat d’Olympe de Gouges pour l’égalité des sexes trouve des échos dans des textes et mouvements ultérieurs, notamment chez Simone de Beauvoir, qui affirme dans Le Deuxième Sexe :
"On ne naît pas femme : on le devient."